~ ANTE GENESEM : Le Paradis Perdu ~

3 - La fin de l'Ere du Destin

Le ciel s'assombrissait lentement, mais la lueur rouge du Soleil éclairait encore la Terre des Dragons. Il n'y avait pas un bruit dans la forêt. Une silhouette solitaire se déplaçait entre les arbres, silencieusement ; un jeune homme aux cheveux noirs courts et désordonnés, pieds nus sur le sol, vêtu simplement. Il portait une épée à sa taille.

Ses yeux bruns balayaient l'espace sans émotion. Il sortit de la forêt, et se retrouva face à une courte plaine qui se terminait en cul de sac devant une falaise immense.

L'adolescent se retourna et fixa la masse sombre de la forêt. " Alors ? Qu'est-ce que tu attends ? pensa-t-il. Je suis prêt ! "

Il y eut soudain un grondement violent qui résonna dans toute la région. " Parfait, murmura le jeune homme. Viens. "

Il se mit en position de combat. Un énorme dragon émergea de la forêt et fixa l'adolescent sans émotion.

A sa vue, le jeune homme se détendit, ses yeux s'adoucirent et il chercha derrière le dragon, comme s'il s'attendait à ce qu'une autre bête vienne rejoindre la première, mais rien ne se passa. Les sourcils du garçon se froncèrent. Il devait forcément y en avoir un autre...Mais soudain il comprit. Ses pupilles se figèrent alors qu'il plongeait son regard brun et affolé dans les yeux d'or du dragon.

" Non, dit-il. Non, je ne me battrais pas contre toi, Grand Frère. Pas toi. "

Le dragon poussa un grondement menaçant, mais l'adolescent recula en secouant la tête. " Non ! cria-t-il avec désespoir. Ce n'est pas moi qui te tuerais ! Va-t-en, je ne veux pas me battre contre toi ! "

Mais le reptile, déterminé, s'avança vers le jeune homme aux cheveux noirs. Son abdomen s'ouvrit et une longue vague de flammes plongèrent vers lui. L'adolescent bondit de justesse pour éviter l'attaque. " Pourquoi ? hurla-t-il. Pourquoi toi ? Je ne veux pas me battre contre toi ! Grand Frère ! "

Mais implacable, le dragon continuait ses attaques sans laisser au jeune homme le temps de souffler. S'il ne voulait pas se battre, et bien il l'obligerait à le faire. L'adolescent se défendit longtemps avant de comprendre qu'il n'avait pas d'issue. Il n'avait pas le choix. Enragé, désespéré, il bondit soudain en avant, enfin prêt à commencer le combat. Evitant de justesse un coup de queue meurtrier, il roula jusqu'au pied de la falaise et revint à la charge. Il connaissait les dragons mieux que personne, et il avait assisté à plus d'une Cérémonie de Passage. Ce n'était pas la peine d'essayer de percer la carapace du reptile, trop dure. Il fallait atteindre son abdomen. Il courut droit vers le dragon surpris qui projeta une nouvelle flamme. L'adolescent sentit la chaleur lui brûler la peau et il sauta de côté sans faire attention à la douleur qui lui incendiait le visage, profitant de l'aveuglement éphémère du dragon pour se glisser derrière lui. Mais la bête avait compris le plan de son adversaire et commença à se retourner en balayant furieusement l'air de sa queue.

L'adolescent reçut le coup en plein dans le visage et fut projeté à quelques mètres de là, du sang lui glissa dans la bouche et il hurla autant de douleur que de rage. Ses yeux enflammés par la passion désespérée et la fatalité semblaient comme dorés, et identiques aux pupilles du dragon qu'il combattait de toute sa fureur, les larmes du chagrin les faisaient briller d'une lueur extrême.

Il ne laissa pas au dragon le temps de réitérer son attaque et récupéra le plus vite possible, fonçant de nouveau sur la bête en hurlant, comme pris d'une folie suicidaire. Mais au dernier moment, il évita l'attaque de feu et se jeta à terre sur le côté, roulant sous le corps énorme du reptile. Avec un cri, il planta son épée dans l'abdomen du dragon et l'ouvrit de tout son long avant de rouler de nouveau le plus vite possible hors de portée.

Le dragon poussa un hurlement déchirant de douleur, il recula et fixa le jeune homme couvert de sang verdâtre, épuisé mais debout, l'épée dressée, une lueur de défi et de désespoir dans ses yeux bruns.

Un instant, le dragon sembla se tendre comme pour une nouvelle attaque, mais il s'écroula dans un soupir général de son énorme corps, ses yeux se fermèrent.

Le jeune homme baissa son arme et s'avança, des larmes incontrôlables glissant sur son visage. Mais fermement, il planta une nouvelle fois l'épée dans le corps du dragon, agrandissant la blessure mortelle. Il lâcha l'arme souillée sur le sol et plongea ses deux mains dans l'abdomen de la bête. Quelques instants plus tard, il en sortit l'énergist précieuse, tellement brûlante qu'elle était intenable, mais il refusait de la lâcher, la serrant avec force, laissant la pierre de feu et de vie imprimer sa marque dans la paume de ses mains. Lorsqu'il ne sentit plus la chaleur de l'énergist, seulement la douleur de la brûlure sur sa peau, il la dressa vers le ciel en poussa un cri de victoire.

Le corps du dragon battu se désagrégea lentement, et disparut en fumée, en même temps que son sang sur le jeune homme.

Bientôt, il n'y eut plus aucune trace de la bête, ni du combat qui avait eu lieu.

Il n'y avait plus de larmes sur le visage de l'adolescent, mais ses yeux portaient en eux un éclat effrayant.

Une lueur bleue illumina soudain le ciel assombri, et une colonne de lumière apparut face à lui. Quelques instants plus tard, elle disparut, laissant à sa place une énorme machine blanche et un homme aux cheveux grisonnants et aux yeux de pierre émeraude.

_ Ainsi tu as réussi, dit l'homme. Tu es un adulte, maintenant. Je te donne donc le nom que tu porteras désormais : Kelyan Draco de Fanel. Voici la force que je t'ai promise, le guymelef divin Escaflowne, l'invincible.

_ Maître Sin...

_ Vas-y.

L'Atlante aux yeux verts s'éloigna de la machine de guerre. D'un geste lent, Kelyan ramassa son épée et s'ouvrit le pouce sans trembler. Il ne sentait déjà plus la douleur de ses mains marquées à jamais par la brûlure de l'énergist.

Un sang rouge sombre coula de la blessure, et tomba sur la pierre mystique. Kelyan monta alors sur le genou du guymelef, exécutant dans sa tête en même temps que physiquement les gestes qu'il avait appris par coeur. Il s'approcha de la poitrine de métal. Presque tremblant, il tendit doucement le bras, glissa sa main dans la poche rosâtre dans un étrange bruit liquide et y déposa l'énergist. Il retira la main et s'éloigna juste un peu de la poitrine du guymelef. Il y eut une lumière, et puis un bruit. Le bruit d'un coeur qui bat. Le guymelef divin Escaflowne venait pour la première fois de prendre vie.

Le cockpit s'ouvrit et Kelyan sauta dedans, prit possession de son arme éternelle. Il bougea, déplaça le guymelef de quelques pas, s'étonnant de la facilité et de la fluidité presque légère de l'énorme machine de métal.

Et soudain, le guymelef devint dragon, étendant ses ailes dans l'air. Kelyan descendit de la machine divine et s'éloigna un peu.

Cette silhouette, grande et blanche, ces ailes immenses, immobiles pour l'instant. Après quinze ans d'abandon, le Dieu Dragon de l'Air lui était retourné.

_ Tu as ton destin en main, Kelyan, fit la voix grave de Sin. N'oublie jamais que l'existence de Gaia dépend de toi. N'oublie rien de ce que je t'ai dit, et surtout n'accepte jamais quoique ce soit des Atlantes, le peuple ailé. Ils sont les destructeurs.

Kelyan ne répondit pas. Tout cela, il le savait. Il l'avait appris par coeur ces cinq dernières années. Ce qui lui faisait peur c'était le ton sur lequel Sin le disait. Comme s'il ne le dirait plus jamais. Le coeur de l'adolescent se serra et il sentit une vague de panique l'envahir.

L'Atlante aux yeux verts s'avança et contempla le paysage, puis se tourna vers Kelyan.

_ Tu construiras ici un royaume puissant, continua-t-il. Le royaume de Fanélia. Il existe beaucoup de peuples errants sur Gaia, tu leur offriras ta protection. Et jusqu'à la fin des temps, les Fanel règneront sur la terre protégée des dragons.

_ Je sais tout ça, maître Sin ! s'exclama Kelyan, la gorge serrée par l'angoisse. Que se passe-t-il ? Pourquoi tu parles comme si c'était la dernière fois ?

_ Parce que c'est la dernière fois, Kelyan. Mon rôle s'arrête ici. Je ne reviendrai plus.

Le regard de l'adolescent se figea. Quelque part au fond de lui, il y avait quelque chose qui faisait mal, très mal. Il sentit son sang se glacer à l'idée qu'il ne le reverrait plus, n'entendrait plus sa voix douce l'encourager, ses yeux brillants se poser sur lui. Plus jamais il ne verrait la colonne de lumière, cet instant où le coeur de Kelyan se mettait à battre plus fort, où il sentait son corps et son âme se réchauffer... Plus jamais il ne s'endormirait le soir avec l'impatience de se réveiller, sachant qu'un nouveau jour lui rapporterait Sin. Il ne dit rien, il savait que ça ne servirait à rien. Sin ne revenait jamais sur ce qu'il avait décidé. Mais pour la première fois depuis cinq ans, pour la première fois depuis ce jour où Sin avait commencé à l'entraîner, Kelyan se jeta comme un enfant dans les bras de son protecteur. Serré contre lui à étouffer, il ferma les yeux en se mordant la lèvre, tremblant à la sensation de chaleur que dégageait le corps de Sin. Confusément au fond de lui, Kelyan sentait que ce sentiment étrange qu'il éprouvait était bien plus que la simple affection qu'il devait ressentir envers l'homme qui avait été son maître...quelque chose de plus, même si son ignorance l'empêchait de comprendre entièrement et de mettre un nom sur ce sentiment.

L'Atlante sourit doucement en caressant avec tendresse les cheveux noirs et emmêlés de l'adolescent. Il n'était pas dupe de ce qu'éprouvait Kelyan, et lui pouvait mettre un nom sur le sentiment...C'était l'une des raisons pour lesquelles il était nécessaire qu'il s'éloigne. Il était temps que Kelyan se détache de lui et vive sa vie, aussi dur que ce soit pour l'adolescent...et pour Sin. Il s'écarta et prit le Pendentif dans sa main. La nuit était tombée maintenant, la Terre et la Lune brillaient dans le ciel.

Au dernier moment, Kelyan se rapprocha de Sin.

_ Attends, dit-il.

Il prit le bras de Sin, puis son épée. L'Atlante le laissa faire, et d'un coup rapide et précis, Kelyan ouvrit l'une des veines du poignet de Sin. Il fit la même chose avec son propre poignet et laissa couler son sang dans la veine de l'Atlante avant de le recouvrir d'un tissus.

" Fais la même chose à tes enfants, dit Kelyan. C'est mon dernier souhait. Donne-leur un peu de mon sang. "

Prends mon sang, le sang du Dragon, immortel, précieux, éternel. L'espoir, non, l'assurance, qu'on se retrouvera, dans un autre temps, une autre vie peut-être.

Sin acquiesça, il le ferait. Il sourit une dernière fois à Kelyan et empoigna de nouveau son Pendentif. La colonne de lumière bleue descendit vers lui, son corps se souleva doucement dans l'air, et il disparut dans le ciel, laissant Kelyan seul avec le guymelef Escaflowne.

Sin atterrit près du port. Il rentra lentement à la Vallée des Illusions. Il avait encore un peu de temps et il ne voulait pas le perdre. Il regarda autour de lui, fixant dans sa mémoire cet endroit qu'il avait aimé, cet endroit qu'il voyait pour la dernière fois comme il avait vu pour la dernière fois Kelyan. Machinalement, il regarda le pansement de fortune à son poignet. Il n'oublierait pas de transmettre un peu du sang de Kelyan à Lynk et Tory. Ce cadeau était trop précieux pour être négligé. Kelyan...

Il traversa les rues désertes d'Atlantis avant d'arriver chez lui. Tout était silencieux, mais lorsqu'il entra dans la maison, Aphaïa l'accueillit d'un sourire un peu faible. Lynk et Tory étaient là aussi, chacun portant un sac.

_ Tout est prêt, dit Aphaïa. Nous pouvons partir. Tu es blessé ?

_ C'est rien, on verra ça plus tard. Allons-y.

Il jeta un coup d'oeil à ses enfants. Lynk était complètement surexcitée à l'idée de partir enfin découvrir le monde. Elle avait quinze ans, déjà...l'âge probable de Kelyan...Tory, lui, semblait incroyablement soulagé. Il n'avait jamais aimé Atlantis.

Aphaïa et les deux enfants sortirent de la maison. Sin retira le Pendentif et le posa à côté de la lettre d'explication pour Ryk. Il y disait tout, depuis la découverte de Kelyan jusqu'à aujourd'hui.

Il sortit et ferma la maison avec un pincement au coeur. Les quatre silhouettes s'éloignèrent silencieusement et traversèrent Atlantis. Ils sortirent de la Vallée des Illusions, et après une heure, atteignirent une petite crique et une jetée au bout de laquelle les attendaient un bateau. Une ombre se détacha en les voyant arriver et un vieil homme aux ailes lumineuses s'approcha d'eux.

_ Tout est prêt, dit-il. Vous pouvez partir quand vous voulez.

_ Merci, Grandius, fit Sin avec un sourire reconnaissant.

_ Bah, c'est rien, gamin...ça m'a rappelé le bon vieux temps. Allez, bon vent !

Le vieil homme s'éloigna en claudiquant. Sin le suivit du regard. Grandius...le capitaine du navire sur lequel il avait passé trois ans, il y avait si longtemps.

Sin rejoignit sa femme et ses enfants sur le bateau. Lynk était déjà en train de défaire les amarres. Ils s'éloigneraient d'abord à la voile dans les eaux dangereuses et peu profondes de l'Atlantide, puis marcheraient principalement à l'énergist. Ils avaient assez de réserve pour au moins deux ans sans s'arrêter ni économiser.

Le bateau quitta doucement le quai, Lynk réglait les voiles et Sin tenait la barre. Aphaïa et lui regardèrent cette terre qu'ils aimaient, cette terre qu'ils avaient voulu protéger et qu'ils finissaient par abandonner. " Eh Papa ! appela Lynk. On va où ? "

Sin se détourna du spectacle de l'Atlantide qui s'éloignait. " D'abord au sud, dit-il. Nous longerons le Continent du Sud, puis nous remonterons vers le nord-est. Il y a là-bas, à un peu moins de deux ans de navigation, des îles verdoyantes, tout au bout du Grand Continent Nord. On s'installera sur une de ses îles. "

Tory n'avait pas jeté un regard en arrière. Ses yeux d'émeraude fixés sur l'horizon, il souriait. Il souriait au soleil qui se lèverait à l'Est. Il souriait à un horizon qui ne hurlait pas des cris de douleur, à un horizon qui ne brûlait pas comme l'enfer.

Le Bonheur Absolu.

Kelyan Draco de Fanel termina d'allumer le feu et s'assit à côté. La nuit était assez claire et chaude pour la saison, mais il avait froid. La silhouette du guymelef se découpait à ses côtés. Il se sentait tellement seul. Il avait tout perdu...ou presque. Kelyan fixa les paumes de ses mains, blessées et marquées des sillons de l'énergist. Il suivit du doigt les brûlures douloureuses. Il savait qu'elles seraient toujours là pour lui rappeler ce jour.

Ce n'était même pas comme si il avait espéré que Sin reste avec lui éternellement. L'Atlante et lui n'appartenaient pas au même monde. Il avait une vie sur Terre, une femme, des enfants, toutes ces choses l'éloignaient à jamais de Kelyan. Il l'avait toujours su, dissimulant comme il pouvait la flamme brûlante de la jalousie qui le consumait à chaque fois que Sin le quittait, à chaque fois qu'il évoquait sa vie sur Terre.

Maintenant, tout était fini. A jamais, il garderait précieusement, oh si précieusement, le souvenir de la rapide étreinte, dernier cadeau de l'Atlante.

Un frisson lui parcourut soudain l'échine. Il se leva et se retourna. Il y avait quelque chose de bizarre dans l'air. Il le sentait au plus profond de lui. L'énergist d'Escaflowne se mit soudain à briller. A un mètre à peine de Kelyan, une silhouette confuse se dessina, comme perdue dans le brouillard. Lentement, l'ombre se précisa, laissant deviner un être humain...une jeune fille. La première que Kelyan voyait de toute sa vie, en vrai. Elle avait les cheveux courts et était habillée bizarrement. Son image tremblait, Kelyan sentait quelque chose de confus, elle était là sans être là, elle existait sans exister, au-delà du temps et de l'espace. Elle le fixait d'un air perdu. Ces yeux...ces yeux d'émeraude...les yeux de Sin...Kelyan tendit la main pour la toucher, s'attendant à ce que ses doigts passent à travers l'image, mais ils se posèrent sur une joue chaude, vivante, réelle. C'était impossible, elle n'existait pas...et pourtant...Ses yeux verts continuaient de le regarder avec anxiété et quelque chose comme de l'espoir, comme si elle le reconnaissait. Il savait qu'elle le voyait, le sentait, et sa présence semblait la perturber. Et soudain sa voix s'éleva, incertaine, irréelle : " Van ? "

A l'instant même où elle parla, où elle prononça ce nom qui n'était pas celui de Kelyan, son image commença à s'effacer. " Je te retrouverai, lui promit Kelyan. Un jour...j'attendrai le temps qu'il faudra, mais on se reverra."

Ryk termina de lire la lettre et la jeta au loin, fou de rage et de tristesse. Ce matin, l'un des serviteurs de Sin était venu apporter le Pendentif et la lettre au Conseil. La lettre qui expliquait tout. Lantheus ramassa le papier et lut tout haut la longue missive.

La nouvelle fit l'effet d'une bombe. Le Conseil était partagé entre ceux qui étaient tentés de croire Sin et ceux qui refusaient de se laisser convaincre. Il y eut presque une bataille rangée entre les deux partis, lorsque Ryk intervint d'une voix furieuse :

_ De toutes façons nous devons aller chercher le guymelef divin ! On ne peut pas le laisser au main de ce gamin !

_ Hors de question, trancha Lantheus d'un ton sans réplique. Il ne nous servirait plus à rien, puisqu'Ispano l'a scellé. La seule chose qu'on puisse faire maintenant est d'attendre et de surveiller.

Ryk se prit la tête dans les mains. Au nom des Dieux Dragons, Sin, qu'est-ce qu'il t'a pris ?

 

Il y avait des dragons partout. Ils étaient entourés, et ils ne pouvaient pas s'en sortir. Les enfants s'étaient mis à pleurer.

_ Nous n'aurions jamais dû venir sur la Terre des Dragons, murmura Maliin.

Son père se tourna vers elle d'un air désespéré et épuisé.

_ Et qu'est-ce qu'on aurait dû faire ? Rester sur place et mourir de faim ?

_ A mourir pour mourir, je ne vois pas la différence !

Il y eut un grand silence. Les hommes entouraient la caravane, armés de lances et d'épées, prêts à se battre malgré le peu de chance qu'ils avaient.

Maliin eut un sourire ironique et vaguement désespéré. Et soudain, dans le ciel, elle vit apparaître une silhouette blanche. " Un dragon blanc ? " se demanda-t-elle.

Le dragon s'approchait de plus en plus, et le groupe s'aperçut avec stupéfaction que quelqu'un montait la bête volante.

Soudain le dragon tomba à terre et se métamorphosa en un géant de fer, immense et blanc, d'où sortit une voix amplifiée. " Lâchez tous vos armes ! "

N'osant pas désobéir, persuadés d'être devant une incarnation du Dieu Dragon Escaflowne, tous lâchèrent épées et lances. " Calmez-vous, continua la voix. Si vous restez tranquilles, ils ne vous attaqueront pas. "

Ils ne bougeaient pas, trop terrorisés. Le géant de fer se changea de nouveau en dragon, et à leur grande surprise, un adolescent d'une quinzaine d'années en sauta. Les dragons le fixèrent et il leur rendit leur regard. Quelques instants plus tard, les énormes reptiles reculèrent et partirent. L'adolescent pieds nus se tourna alors vers le groupe.

_ Qui êtes-vous ? demanda-t-il d'une voix furieuse. Vous ne savez pas que cette terre est pleine de dragons ?

Un homme s'approcha, impressionné. Le garçon aux cheveux noirs était peut-être encore très jeune, mais il avait dans la voix une autorité certaine, l'autorité de celui qui se sait chez lui.

_ Pardonnez-nous, seigneur, dit-il. Je m'appelle Venius et voici ma fille, Maliin. Ces gens et nous avons fui la Terre Morte, Zaïbacher. On y meurt de famine et nous n'avons nulle part où aller.

Le yeux bruns du jeune homme s'adoucirent. Il regarda la troupe terrorisée et épuisée.

_ Je suis Kelyan Draco de Fanel, dit-il. Et vous êtes à Fanélia, la Terre des Dragons. Vous y êtes les premiers humains.

Il y eu silence, et Kelyan reprit :

_ Je vous offre la possibilité de vous installez ici. En échange, vous m'aiderez à créer un royaume et une ville pour que nous puissions y vivre.

_ Nous acceptons, lança Maliin sans même se poser de questions ou demander leur avis aux autres.

Elle savait qu'ils n'avaient pas d'autre choix. Le regard de Kelyan se posa sur elle. " Alors suivez-moi ", dit-il simplement.

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Ce matin-là, Ryk se leva avec un mauvais pressentiment. Mal à l'aise, il embrassa Maya et s'habilla avant de sortir en hâte pour aller à la Tour du Destin. Ces derniers temps, ils avaient eu pas mal de difficultés avec la Sphère du Bonheur Absolu. Elle ne marchait plus aussi bien, et les paroles pessimistes de Sin lui revinrent en mémoire. " Ouvre les yeux, Ryk ! L'énergie des rêves est bien trop instable ! Tu crois vraiment que chaque rêve de chaque Atlante est désintéressé, pur ? La Puissance de l'Esprit, tu parles ! Le Rêve Commun, tu parles ! Un jour ou l'autre, deux personnes s'opposeront et là commencera la destruction d'Atlantis ! "

Sin...Depuis combien de temps était-il parti ? Dix ans, déjà ? Il lui manquait. Ryk se sentait soudain vieux. Et pourtant, il se rappelait de tout comme si c'était la veille. Pourtant, tout changeait autour de lui. Les Conseillers d'aujourd'hui n'étaient pas tous ceux d'avant, Belphora était partie...Seul Lantheus, l'éternel Lantheus, là depuis toujours, restait, malgré ses 80 ans passés. Mais depuis le départ de Sin, les choses étaient devenues de plus en plus difficiles. Tout semblait aller contre les espoirs de Ryk. La Sphère avait commencé à manquer de puissance, des conflits avaient éclatés un peu partout sur Gaia, surtout du côté de Zaïbacher. De nouveaux états s'étaient créés, mais celui qui les inquiétait le plus était le royaume de Fanélia, fondé par le protégé de Sin, Kelyan Draco de Fanel. Les peuples nomades venaient s'y installer et en dix ans à peine, Fanélia était devenu un état assez important, d'une stabilité surprenante pour sa jeunesse. Kelyan Fanel y avait fait un travail époustouflant. De tous les états créés, en dehors de Fleid, Fanélia était le plus florissant.

Dès qu'ils avaient réalisé que l'affaire était sérieuse, les Conseillers avaient envoyé une délégation dont Ryk faisait partie pour prendre contact avec Kelyan. D'une manière générale, le royaume de la Terre des Dragons avait peu de contact avec les pays extérieurs mais ils espéraient que cette entrevue serait utile. Peine perdue, le roi de Fanélia avait bien appris sa leçon. Les envoyés d'Atlantis avaient été reçus avec une froideur et une hostilité explicites. Ils étaient à peine restés une heure avant qu'on leur fasse comprendre qu'ils n'avaient rien à faire ici. Et depuis, ils n'y étaient plus retournés, se contentant de surveiller la croissance du pays avec attention.

Des cris attirèrent soudain son attention. Un technicien affolé accourait vers lui. " Maître Ryk ! Venez vite ! On a un problème avec la Sphère ! "

Soudain inquiet, sentant son malaise grandir, Ryk courut à la suite de l'homme. La Sphère tournait sur elle-même comme une folle, et les techniciens s'agitaient autour d'elle. Lantheus était déjà là, l'air horrifié. Ryk s'approcha, sachant déjà ce qu'on allait lui dire.

_ On ne voit plus rien, fit Lantheus d'une voix blanche en désignant la Sphère. Nous ne la contrôlons plus...

Ryk se précipita sur le tableau de commande. " Destin incontrôlable ! " hurla un technicien. " Le générateur de particules ne veut pas se débrancher ! " avertit un autre.

Et là commencera la destruction d'Atlantis ! avait prédit Sin.

La Sphère s'arrêta soudain de tourner. Elle ne brillait plus, elle était devenue noire et opaque.

_ Ryk, va réunir le peuple et décrète l'état d'urgence, dit soudain Lantheus d'une voix calme.

_ Lantheus...

Le vieil homme lui donna le Pendentif. " Ne l'utilise surtout pas à l'intérieur d'Atlantis, ça risquerait d'empirer les choses. Va chercher ta femme, ton fils et sa famille et emmène le peuple à la Porte Inter Dimensionnelle. "

Comprenant l'urgence de la situation, Ryk partit le plus vite possible en direction de chez lui. Heureusement Maya était levée.

_ Maya ! Une catastrophe se prépare, va chercher Clad et sa famille et emmène les à la Porte ! Il faut quitter la Vallée le plus vite possible !

Maya ne chercha pas plus d'explications et se lança à la recherche de son fils et des ses petits-enfants. Ryk courait dans les rues en hurlant l'état d'alerte et ordonnant de rejoindre la Porte. Mais la plupart ne comprenait pas et passait en haussant les épaules. D'autres obéissaient, mais Ryk se sentait de plus en plus envahi par la panique. Il y eut soudain un premier tremblement de terre, léger, puis un autre, beaucoup plus fort. " Que Kepa nous protège, pensa Ryk, terrorisé. Ça a commencé ! "

Il y eut des hurlements de terreurs qui éclatèrent un peu partout dans la Vallée alors que le tremblement de terre augmentait en intensité et que les maisons commençaient à se lézarder, certaines à s'écrouler. Ryk, affolé, rejoignit la Porte le plus vite possible. Maya, Clad, sa femme et ses enfants étaient là, apeurés, mais en dehors d'eux, il n'y avait qu'une cinquantaine d'Atlantes.

Les tremblements devinrent de plus en plus forts et rapprochés et les Atlantes s'envolaient pour échapper à l'écroulement de la Vallée des Illusions. Horrifiés, le coeur serré, les Atlantes près de la Porte assistaient au spectacle. Les falaises d'Atlantis commençaient à s'écrouler sur les maisons, et d'autres Atlantes étaient venus se réfugier à la Porte.

On entendait des cris, des pleurs, des enfants bousculés appelaient leurs parents. Dans le ciel, des centaines et des centaines d'Atlantes planaient, incertains, terrorisés.

Et puis tout se calma. Les falaises cessèrent de s'écrouler et les tremblements de terre d'ébranler le sol.

Soudain, il y eut une lueur intense, et des roches en fusion se mirent à tomber du ciel, brûlant vifs tous les Atlantes. Les hurlements s'intensifièrent.

Au même instant, la Sphère du Bonheur Absolu se brisa en deux, et tomba au sol. Toute la Vallée brûlait. " Cette vision...c'est comme ce que Tory avait vu... " balbutia Ryk.

Pardonne-moi, Sin... pardon...je ne t'ai pas cru...pardon...c'est toi qui avait raison...Que les Dieux Dragons nous prennent en pitié...c'est toi qui avait raison...

Les tremblements recommencèrent, et les Atlantes à la Porte, d'abord choqués, se mirent à paniquer de nouveau, à hurler. Ryk ne voulait pas abandonner la Vallée, mais il devait sauver les derniers Atlantes. Il reprit son sang-froid, mettant ses sentiments de côté, et déclencha l'ouverture de la Porte Inter Dimensionnelle.

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Kelyan leva soudain les yeux vers la Terre, là-haut dans le ciel. Il le sentait au fond de lui. Le Destin était en train de changer.

Maliin le regarda, inquiète, et se rapprocha de lui.

_ Que se passe-t-il ?

Kelyan Draco de Fanel attira sa femme dans ses bras en caressant doucement son ventre rond et plein de vie.

_ Rien, dit-il en souriant. Tout va bien.

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Un an plus tard.

Ryk s'éloigna péniblement de l'Arbre du Souvenir. Planté au centre de la Vallée des Illusions, il raconterait à ceux qui le trouveraient les erreurs et la destruction d'Atlantis pour que ça n'arrive plus jamais.

Maya regarda son mari partir à travers les ruines mais ne le rejoignit pas. Elle savait qu'il avait besoin d'être seul. Ryk avait vieilli de dix ans d'un coup. Il se considérait comme seul coupable de la destruction d'Atlantis, mais il avait tort. Ils étaient tous coupables. Ils s'étaient crus invincibles, ils n'avaient pas voulu écouter Sin. Sin qui avait su et compris bien avant eux quelle folie ils commettaient.

Un an déjà.

A leur arrivée précipitée sur Gaia, ils avaient dû fuir le froid du continent inhabité, descendre vers le sud le plus possible. Ils étaient à peine une centaine. Les derniers Atlantes...Maya ne l'oublierait jamais. Le froid glacial, les pleurs des enfants fatigués, parfois orphelins, les crises de nerf, l'épuisement de la marche, le désespoir. Devant tant de détresse, Ryk s'était décidé à utiliser le Pendentif et les avait transportés tout au sud. Ils avaient cherché longtemps un endroit où s'installer avant de s'arrêter près d'une cascade d'eau.

Un an déjà.

Et leur deuxième voyage dans la Vallée des Illusions détruite à jamais. La première fois, ils étaient revenus pour voir, peut-être y avait-il des survivants. Mais l'Atlantide n'existait plus. Anéanti, Ryk avait fait ramener sur Gaia les restes de la Sphère du Bonheur Absolu, les restes de la puissance d'Atlantis. Il ne fallait surtout pas qu'on puisse la réutiliser.

Ils étaient allés à Fleid. Au fond du volcan éteint de Fortuna et avec l'aide des habitants et du Pendentif, ils avaient scellé avec une épée d'énergist la puissance endormie pour qu'elle ne soit jamais réveillée. Chariz, fils de Balgar, avait juré qu'ils protégeraient le point de puissance jusqu'à la mort s'il le fallait.

Avec l'aide du Pendentif, Ryk avait retranscrit les obligations des Fleidiens dans un livre qu'ils avaient gardé. Il était sûr de leur éternelle fidélité.

Un an déjà.

Aujourd'hui, ils étaient revenus pour la dernière fois, Maya le savait. Et elle savait aussi qu'ils rentreraient à pied jusqu'au campement de la cascade.

Ryk marcha à travers les ruines, regardant autour de lui avec un visage triste. La végétation commençait déjà à envahir la ville. Il passa près de l'ancienne maison de Sin et eut un sourire ironique : c'était la mieux conservée de tout Atlantis.

Enfin, il arriva près des ruines des temples. Il hésita, mais finalement entra dans le temple du Dieu de l'Air Escaflowne.

Traversant avec difficulté les gravats, Ryk finit par atteindre la statue miraculeusement presque intacte du Dieu Dragon et s'agenouilla devant péniblement. Il retira le Pendentif de son cou et le déposa sur l'autel.

_ Puissant Escaflowne, je suis venu implorer le pardon pour ton peuple, murmura Ryk.

Le Pendentif se mit soudain à briller et l'Atlante se retrouva dans un univers sombre, parsemé de lueurs rapides. Une voix se mit soudain à parler en lui.

Fous prétentieux, vous avez attirés sur vous la Malédiction des Dieux Dragons. Ryk le Prophète, toi et ta lignée guiderez mon peuple jusqu'au moment venu. Le Peuple du Dieu Dragon, descendant des Atlantes, errera durant des milliers d'années. Mais un jour mon Fils reviendra au monde et il portera votre marque. Vous serez libérés de votre peine s'il vous pardonne et accepte de vous guider pour lever la Malédiction. Va, Ryk le Prophète, et répète ces mots auprès des derniers Atlantes. Il est temps que vous appreniez à suivre votre Destin.

Ryk rouvrit les yeux, choqué. Puis, se tournant vers la statue, il s'inclina de nouveau.

" Que la Volonté des Dieux Dragons s'accomplissent. "

FIN DE LA PREMIERE PARTIE

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